[Solo/Flashback] If it is your wish to settle things with your past...

Mon mal me fait une si forte impression que vous pourriez presque lui céder mon nom, si, d'aventure, il vous venait à l'esprit de vous en défaire.

De façon amusante, Gillian n'avait jamais tutoyé sa femme dans leurs diverses correspondances.
D'abord par jeu de séduction à l'adolescence, par distance factice. Ses longues lettres langoureuses lui valurent alors le surnom de Whinywood, et son étrange inclination pour les saules pleureurs ne risquait guère de l'aider à y échapper.
Puis, ensuite, peut-être par fantasme chevaleresque envers une littérature que tous deux affectionnaient.
Et c'était sur ces termes qu'ils devaient se séparer.
Son épouse n'avait jamais répondu à sa dernière missive. Le mot suivant qu'il sut d'elle ne fut qu'une demande de divorce. La façon dont elle avait fini par s'effacer lui faisait l'effet d'un cadavre. D'abord, un dernier sursaut, comme pour prendre la force de mourir. Puis, une sordide illusion de quiétude, alors que, pourtant, les cellules commençaient à se désagréger une par une.

Gillian conservait leurs lettres dans un petit sac de toile, qu'il avait emporté jusque dans l'enceinte de l'académie. Il l'avait laissé reposer sur son bureau de chambre, sa première nuit. Tout le long du temps que lui avait pris son installation, le futur professeur avait gardé à l'esprit les derniers mots qu'adressait sa dernière lettre. Il gardait toujours une copie de ses propres écrits, vers lesquelles il revenait toujours, par peur de se contredire, puisque, tout spectateur qu'il était, il n'avait pas la mémoire de ses paroles, lui qui passait pour un menteur lorsqu'il rappelait les autres au bon souvenir de leurs propos respectifs. Mais cette lettre-là, c'était quelque chose qui s'apprenait, et qui lui était devenu une sorte de récital.
Il avait eu besoin de la posséder, mais il n'avait pas besoin de la lire.

Je ne sais pas si les larmes du repentir pourront racheter les larmes de la honte. Je ne sais pas si l'on accorde des paiements échelonnés pour les fautes. Il pourrait paraître hypocrite de condamner ce dont on a soi-même jeté les germes. C'est cependant cette conscience aiguë qui me permet de me voir tout entier, et, j'espère, de me sauver tout entier. Je n'ai pas l'intention de couvrir quiconque viendrait à commettre les mêmes fautes. Ce n'est pas parce que l'acte est de mon fait qu'il en devient auto-validant. Je sais néanmoins que, si je ne l'ai pas obtenu, je n'ai jamais cherché que mon propre progrès, ainsi que celui de l'homme.
J'espère que ce que j'ai entrepris ne sera pas employé à d'obscurs desseins, car oui, cela le peut. Mais les plus beaux pouvoirs, et les plus sûrs, sont ceux dont on connait les deux lames.
Mais enfin, parlons de nous. Nous savons que nous ne pourrons plus jamais nous regarder de la même façon qu'à l'adolescence, tandis que le saule pleureur vous faisait la cour. Moi-même, je ne me reconnais plus. Il faut croire que la douleur engendre des êtres nouveaux. Et pourtant. Mon mal me fait une si forte impression que vous pourriez presque lui céder mon nom, si, d'aventure, il vous venait à l'esprit de vous en défaire.

Le lendemain de son arrivée, il avait brûlé le sac de toile.